La famille Abadie pose ses valises au Theil (Orne) en 1864. A sa tête, le patriarche, Joseph-Bertrand Abadie. Il est l’inventeur du papier sans colle. Il cherche à développer son activité (le papier à cigarette) et la petite commune ornaise répond à bien des exigences : proche de Paris, un cours d’eau pour faire fonctionner les turbines, une population prête à travailler et pas de concurrents directs.

En 1866, l’usine est inaugurée officiellement. Jusqu’en 1974, date de sa fermeture, quatre générations d’Abadie vont s’y succéder. A l’apogée de son histoire, vers 1920, 180 personnes y travailleront (900 000 kg de papier sont exportés dans le monde). « L’entreprise fait vivre la commune. Elle est une des premières du département à obtenir l’électricité. Le Theil a été éclairé grâce à Abadie ! Les partrons deviennent maires, députés, conseillers généraux. Des cités ouvrières sont construites, une salle des fêtes, une crêche…Mais l’ouvrier reste exploité et payé une misère ».

Au fil des années, l’entreprise familiale prospère. Une maison au style néo-normand est construite en face de l’usine (par le fils Egbert, député de l’Orne) tandis que le père loge de l’autre côté de la route, dans le « petit château ».

Mais, faute d’investissement, l’affaire péréclyte. Les héritiers s’en désintéressent peu à peu et en 1974 les ouvriers ne sont plus qu’une trentaine à encore faire tourner les machines (qui elles datent toujours de 1924 !). Les portes se ferment définitivement. Le silence s’est fait. L’actuel propriétaire, M. Bravo, tient une brocante à Epinay-sur-Seine. Il stocke à l’usine son matériel et ce qu’il récupère des usines en liquidation. A une époque, il a commencé des travaux de rénovation sur la façade mais quand l’architecte des bâtiments de France est intervenu (le bâtiment est inscrit à l’inventaire supplémentaire des bâtiments de France), tout a été stoppé. L’usine serait en vente aujourd’hui, (on parle de 250 millions d’euros). Les theillois espèrent toujours qu’une activité pourrait y reprendre, comme le suggère Bruno Jousselin, une activité liée au patrimoine avec une partie muséographique, des bureaux, une maison des associations… 

Les idées ne manquent pas, mais il ne faudrait peut-être attendre trop longtemps car le temps ne joue pas en sa faveur.