Matte Fils
De 1820 à 1960, Montpellier abrita l’une des premières manufactures françaises de chocolat. Le nom de Matte fit ainsi rêver plusieurs générations de gourmands et participa au prestige de la ville à l’aube du XIXe siècle.
Au début du XIXe siècle, selon la direction du vent, une odeur entêtante se mit à flotter sur les terrasses du Peyrou. Les promeneurs découvrirent le spectacle de la haute cheminée de briques, des ouvrières et des charrettes déchargeant les sacs de fèves, importées d’Afrique et d’Amérique centrale. C’est en effet en 1820, dans le quartier des Arceaux, rue Saint-Louis, que démarra l’aventure d’une des plus florissantes entreprises montpelliéraines : celle de la fabrique Matte, du nom de son fondateur, Pascal-Jacques, héritier d’une célèbre famille de chimistes et de parfumeurs. Dans la chaleur infernale d’une immense chaudière actionnant la machine à vapeur, l’usine produisait journellement 700 kilos de chocolat.
Mais le grand chocolatier de la famille, ce fut pourtant lui, Louis Matte. Il venait tout juste d’avoir quarante ans, lorsque Pascal-Jacques, son père, lui abandonna les rênes de la fabrique. Doué d’un fort esprit d’entreprise, il avait assimilé toutes les règles de la publicité naissante, faisant ainsi décliner sur les murs de la ville et dans tous les journaux le slogan familier : « De Paris au Japon, du Japon jusqu’à Lattes, le meilleur chocolat, c’est le chocolat Matte… » Dans la belle boutique qu’il avait fait ouvrir au 39 rue Saint-Guilhem, les clients venaient s’approvisionner en épluchures de cacao, pour les moins riches, ou en poudre sous forme de rondelles, que les élégantes faisaient fondre dans leur lait.
Homme jovial, sportif passionné, unanimement apprécié de son personnel qui lui organisait chaque année une fête pour la Saint-Louis et qu’il récompensait par des grands pique-niques en bord de Lez, Louis Matte fut une figure ­centrale de la vie montpelliéraine. Nommé membre du conseil municipal en 1888, adjoint au maire en 1892 sous l’administration de M. Baumel et conseiller d’arrondissement, il fut également administrateur de la Caisse d’épargne, juge au tribunal de commerce et membre de la chambre de commerce. Membre fondateur de la société de gymnastique « La Revanche », de la société « L’Union musicale », il fut surtout un aficionado du jeu de mail. Président des « Chevaliers du noble jeu du Bois-Roulant », il fit ouvrir plusieurs aires de jeux, dont une aux Arceaux. Et son buste, taillé en 1901 par le célèbre sculpteur Baussan, veilla sur les pratiquants au siège de l’association.
Le nom de Matte se perpétua à sa mort, en 1907, grâce à son fils, Jacques-Étienne, qui prit le relais de l’entreprise, confrontée alors à la concurrence sévère menée par d’autres chocolatiers, comme le chocolat Menier. Ou aux restrictions liées au conflit mondial. En mars 1918, faute de sucre, une note du commissariat central signale que l’industriel a été ainsi contraint de licencier ses ouvriers et ses ouvrières « jusqu’à nouvel ordre ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, en place du café torréfié par la fabrique, c’est de pois chiches dont les usagers doivent se contenter. Les anciens Montpelliérains se souviennent avec nostalgie de la jolie boutique de la rue Saint-Guilhem où les petites vendeuses, logées dans les étages, venaient à toute heure ouvrir la porte du magasin. On s’y approvisionnait en bâtons fourrés de crème, en réglisse, bonbons au coquelicot ou à la pâte d’escargot. La lumière ne semblait jamais devoir s’y éteindre. Avant l’incendie qui mit un terme à l’aventure au milieu des années 1960, il n’y eut qu’un jour de 1920 où les clients trouvèrent la porte close. Prévenues par ligne directe du téléphone qui y avait été installé, les petites vendeuses avaient momentanément déserté la boutique pour se précipiter rue Saint-Louis, où dans la liesse générale on fêtait ce jour-là cent ans de chocolat.
(Source : Article publié par le Journal Montpellier Notre Ville, n°430, mars 2018. Ville de Montpellier)

 

 
Thème Chocolat
Marque vue 3518 fois - Créée le 10 Septembre 2018 - Modifiée le 19 Mars 2024 Retour
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